Le droit d’auteur est un vieux droit : il est né en 1791 avec la loi Le Chapelier. Il ne cesse cependant d’évoluer, en étroite symbiose avec l’innovation technologique. La dernière-née qui bouscule le vieux droit est l’intelligence artificielle générative.
Les interrogations que posent l’intelligence artificielle au droit d’auteur sont de deux types en considération de deux catégories de données :
- Les données d’entrée (input) ; et
- Les données de sortie (output).
Le constat, tel qu’il résulte notamment du rapport du CSPLA sur la mise en œuvre du règlement européen établissant des règles harmonisées sur l’intelligence artificielle (RIA), publié le 11 décembre 2024 est le suivant : les données de qualité sont essentielles pour entraîner les modèles d’IA. En effet, si un modèle d’IA s’entraîne avec des données elles-mêmes générées par intelligence artificielle, il collapse.
Il est donc important, non seulement pour les titulaires de données et titulaires de droits d’auteur, mais également pour les modèles d’IA, d’entamer un dialogue aux fins de reconnaître la valeur commerciale de ces données.
Lors d’une commission ouverte des avocats« IA et droit d’auteur – comment construire un marché éthique et compétitif » le 16 janvier 2025, Monsieur Alexandre Lasch, Directeur général du SNEP, exposait que, à l’occasion des adaptations et négociations relatives au streaming (en son temps, une autre avancée technologique) des deux opérateurs en présence, Radioblog et Blogmusik, c’est bien celui qui avait négocié avec les titulaires de droits d’auteur qui existe encore (devenu Deezer) et non celui qui avait refusé…(Radioblog a été condamné à payer 1 million d’euros aux sociétés de gestion collective).
Ainsi, la rémunération des titulaires de droits d’auteur et droits voisins pour l’utilisation de leurs œuvres par des modèles d’intelligence artificielle permettra aux créateurs d’être justement récompensés pour leur travail et leur créativité, ce qui favorise la production de contenus de qualité. Et cette rémunération permettra d’offrir aux développeurs d’IA un accès à des ressources enrichies et diversifiées.
Les différents textes applicables sont :
- le règlement relatif à l’intelligence artificielle (RIA) du 13 juin 2024 ; et
Le RIA créé (article 53) une obligation de transparence aux fournisseurs d’IA à usage général et celle de la mise à la disposition du public d’un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entraîner le modèle d’IA à usage général (un modèle de résumé a été élaboré par le CSPLA).
La directive du 17 avril 2019 a introduit une exception au droit d'auteur pour la« fouille de textes et données », qui permet aux fournisseurs d’IA de constituer leurs bases de données, dès lors qu'un contenu est accessible en ligne, précision toutefois apportée que les ayants droit peuvent s’opposer à cette fouille de textes et de données par la clause dite « d’optout ».
Ladifficulté pour les titulaires de droits étant cependant d’apporter la preuve de l’accès illicite, du contenu utilisé et du mode d’exercice de l’opt out.
L’autre question posée par l’intelligence artificielle est celle de savoir si une œuvre créée avec l’aide de l’IA pourra être jugée originale et donc protégeable par le droit d’auteur.
En droit français, une création, pour être protégeable par le droit d’auteur, doit être l’œuvre d’un être humain (voir l’histoire du tableau fait par Lolo l'âne à la queue duquel on a attaché un pinceau).
Un débat assez similaire avait déjà eu lieu à l’occasion de la naissance de la photographie.
Nul doute que toute une jurisprudence va voir le jour, voire une législation, comme cela avait d’ailleurs été le cas à l’occasion de la naissance de la photographie. Alors qu’une loi de 1866 avait prévu des dispositions spécifiques concernant le caractère protégeable d’une photographie, la loi de 1957 a ensuite supprimé celles-ci pour établir un cadre général pour les œuvres protégées par le droit d'auteur.
A l’occasion du débat sur le caractère protégeable d’une œuvre créée avec l’aide de l’IA, nul doute que le prompt (un prompt est une instruction ou une série de données fournies à un système d’IA, qui utilise ces informations pour générer des réponses ou des créations en texte, image, ou autre forme de média) deviendra l’élément primordial afin d’apporter la preuve des directives données à la machine. Faut-il dès lors prévoir que les fournisseurs d’IA doivent conserver les prompts ?
Il appartiendra ensuite aux tribunaux de réaliser le délicat travail de l’appréciation du caractère original de la création élaborée à l’aide de l’IA.
L’équilibre à trouver entre une protection légitime et la nécessité de ne pas protéger n’importe quoi est vital. Sans cela, notre vieux droit d’auteur pourrait bien mourir. Et avec lui, les auteurs ?
Comme toujours, la question est de savoir dans quel monde nous voulons vivre …
Véronique Piguet, avocate associée chez Squair
vpiguet@squairlaw.com